VIE DE L’AUTEUR PARTIE I : Enfance et adolescence
Lomé, ville côtière capitale du Togo est mon lieu de naissance un vendredi 28 février 1941 dans la maison, d’Afiaviglo une des épouses de Pa Augustino de Souza, l’un des prestigieux notables de la ville.
Je me rappelle que tous les matins, les enfants du quartier vont faire la queue devant la porte du richissime vieillard Pa Augustino pour recevoir des piécettes que je ramène à ma mère pour satisfaire mes besoins, dont les friandises occupent une place de choix. Ma mère AKAKPO-TETE Alomé Thérèse est originaire de Essè ZOGBEDJI, un village frère d’Adangbé situé sur l’autre rive du fleuve Haho est née vers 1915, Elle a passé une partie de sa vie à Accra dans sa jeunesse au Gold Coast (Ghana) avant de s’installer à Lomé chez sa tante Afiaviglo en tant que servante.
La résidence de ma mère n’est pas loin du domicile de mon père. Mon père Gomez Robert Christophe Komla est né à Aného en 1910 et a été l’un des premiers géomètres dessinateurs au Togo. Mon grand-père GOMEZ Francisco Koffi Dito est né aussi à Aného. Il incarne comme d’autres frères issus du métissage entre le Blanc et le noir, l’originale histoire des GOMEZ venus de l’Espagne et du Portugal pour devenir alliés des LAWSON comme les Crépy, les Wilson…etc
Ma venue au monde se situe en pleine guerre mondiale (1939-1945). Cette période extrêmement difficile a forgé ma personnalité où dominent mon esprit de débrouillardise et la volonté de réussir tout ce que j’entreprends dans presque tous les domaines que je découvre au jour le jour….
Le grand marché de Lomé, un lieu de transaction fort animé les mercredis et les samedis, en bordure de la mer immense ourlée de sable blanc et bordée de cocotier dont le propriétaire serait Pa Augustino de Souza.
A quelques encablures de là vers l’ouest il y a la cité d’Aflao située juste à la frontière entre la Gold Cost occupée par les Anglais et le Togo sous la tutelle des Français. Les effets pervers de la seconde guerre mondiale…La guerre se faisait sentir avec la pénurie des produits essentiels tel le pétrole, le sucre, l’huile, bref les produits fabriqués en Europe. Armés de bon d’achat les gens forment de longues files d’attente pour bénéficier du rationnement des produits importés essentiels. Quant aux produits locaux, ils n’en manquent pas mais coûtent essentiellement chers. Comme alimentation principale, le mil et le sorgho, ont provisoirement remplacé le mais dont le prix est monté en flèche. Moi, ce qui me préoccupe ce n’est pas le mangé car il n’en manque pas à la maison mais les jouets qu’on ne trouve nulle part à acheter pour s’amuser. Pour combler le vide je suis obligé comme les enfants de les fabriquer moi-même avec beaucoup d’imagination et d’invention. Voiturettes, ballon de Foot, sifflet, ballon de baudruche avec la vessie de porcs. Les vessies de porc je vais tôt le matin les ramasser toute chaude à l’abattoir non loin du grand marché d’Adawlato à côté de l’école de la poudrière. Arrivé à la maison, je les lave proprement et les gonfle avant de les exposer à la porte de notre maison; les prix varient selon leur volumes. Je fabrique aussi les essuies pieds et bien d’autres choses. Pour le ballon il suffit de trouver une vieille chaussette et de les rembourrer pour avoir la forme d’un ballon, avant de le coudre. Comme on dit «à quelque chose malheur est bon». Car à cause de la guerre les enfants nés en cette période sont obligés d’être plus inventifs que les enfants de naguère sans la guerre.
Une fois, ma mère de retour d’un voyage a Accra m’a ramené un merveilleux jouet qui a polarisé la priorité des enfants du quartier autour de moi et j’en suis fier et content de provoquer une ambiance de fête autour de moi. A part les jouets fabriqués par les Blancs et vendus dans les magasins, moi-même j’en fabrique beaucoup avec tout ce que je trouve autour de moi. Ma mère, infatigable dans l’effort est le meilleur exemple qui dope ma volonté d’agir. Entre deux voyages à Accra pour acheter des foulards de soie et d’autres articles de beauté pour les femmes, elle fabrique aussi diverses sortes de bonbons à partir du sucre raffiné ou de « Toffee » à partir d’amande de coco. Elle a, à son service, des servantes dévouées qu’on lui envoie de son village pour se mettre à son service afin de se former à leur tour sur le tas.
Contrairement à ces dernières, venues juste pour se former pour quelques temps, la tante Ayoko dite Kofino vit en permanence à côté de ma mère pour mes petits soins surtout en son absence lors des voyages. Les manifestations de mon père à mon endroit sont rares. Il vient de temps en temps les weekends me prendre sur sa jolie bicyclette ralig pour m’emmener voir les matchs de football au stade municipal de Lomé situé dans le quartier administratif. Mon amour pour le football vient de là. Quand j’ai voulu savoir pourquoi papa n’est pas avec nous ici, ma mère a dit qu’il a d’autres femmes et d’autres enfants qu’il visite à tour de rôle. A part la guerre, la polygamie a aussi ses effets funestes dans les familles et par voix de conséquence sur les enfants dont les mamans n’ont pas les moyens matériels et financiers pour s’occuper correctement d’eux et leur éviter la délinquance. Malgré cette disharmonie entre mon père et mère j’ai connu dans l’intimité de ma mère une enfance relativement heureuse. La première raison est qu’elle a créé autour de moi les meilleures conditions matérielles et morales pour mon épanouissement intégral. Je suis son premier garçon; en Afrique en général et au Togo en particulier, cela a son importance puisqu’un garçon à la différence d’une fille, est considéré comme le prolongement, la survie de la famille du clan, de l’ethnie…
La seconde raison est qu’elle ne m’a pas enfermé dans une cage mais à l’approche des fêtes de fin d’année elle me conseille de ne pas m’aventurer hors de la ville notamment dans les cocoteraies où pullulent les voleurs d’enfants et les coupeurs de tête. Le second souci de ma mère est la mer frondeuse, bouillonnante de colère. Chaque année les enfants disparaissent corps et âmes; quand on a la chance, on retrouve leur cadavres à quelques encablures de l’endroit où il y a eu la noyade.
Je remercie Dieu de m’avoir donné une telle mère. Le plus grand bien que ma mère m’a fait est de m’avoir inscrit précocement à l’école. Une chance est que d’autres enfants pendant cette difficile période n’ont pas pu éviter la délinquance et la rue. De l’environnement familial à l’environnement scolaire, le pat est vite franchi car aucun parent ne veut priver son enfant du savoir et du savoir-faire du blanc pour devenir un grand quelqu’un dans la vie. «Tout enfant qui s’éterniserait dans les jeux sous la place public, on se demanderait, de quelle famille, de quelle maison il vient» ce proverbe de chez nous traduit merveilleusement la mentalité du milieu. En ce qui me concerne ma mère m’a inscrit à l’école enfantine appelée dans la langue locale Abozokpo.
C’est le premier centre de regroupement des enfants pour l’alphabétisation en langue locale essentiellement en Ewé et en langue étrangère le Français. Le cursus se poursuit avec le CP1, le CP2, le CE1, le CE2, le CM1, le CM2. Pour quitter l’enseignement primaire et accéder à l’enseignement secondaire il faut nécessairement avoir le certificat d’études primaires élémentaires. Pour obtenir ce sésame d’une valeur incommensurable, il faut, le jour de l’examen subir des épreuves drastiques dont la plus éprouvante est l’épreuve de dictée, au terme de laquelle presque le tiers des candidats est éliminé. On appelle ça «prendre le train de 8h» et cela donne lieu à des spectacles cocasses au niveau des centres d’examen où une foule de badauds venait assister avec des railleries et des caulibés. En 1950-1951, j’ai reçu mon CEPE sans coup férir. N’ayant pas pu passer l’examen de passage en 6ème pour limite d’âge, mon père m’a inscrit en 7ème au collège Saint Joseph. Inscrit au collège Saint Joseph de Tokoin, mon père a opté pour le régime d’internat, à cause de l’éloignement de l’établissement mais surtout pour me sevrer de ma passion pour le football. Malheureusement pour lui, heureusement pour moi, c’est le football qui m’accueille, les bras ouverts, à mon nouveau point de chute.
En effet, en dehors du savoir livresque qui est dispensé avec rigueur et compétence, c’est le football qui rythme la vie des élèves au collège St Joseph en ce temps-là. Entre deux cours, avant le cours, après le cours, on organise des compétitions sous toutes les formes. Après le cours, on s’affronte entre deux équipes rapidement constituées de 11 joueurs. Compte tenue de ma fragile constitution physique, on n’ose pas m’intégrer mais un jour, outré de cette façon de me discriminer, j’entre de force dans le jeu et quand j’ai réussi à avoir le ballon, j’étale toute ma classe de dribleur et de marqueur de but. Ainsi je suis devenu l’une des pièces maîtresses de l’équipe de la 7ème; en ce qui concerne les autres équipes, je suis de niveau moyen à côté des forts tels que : Agbobli Joachin, Gnininvi Léopold, Pass Rogly, Ayié Joseph et j’en passe. A part le football, la vie religieuse et culturelle prend une part prépondérante. L’un des souvenirs inoubliables que j’ai emportés du collège St Joseph est la représentation du Cid de Corneille. Notre émérite premier Ministre Edem KODJO en a incarné le principal personnage : Rodrigue. Son talent d’acteur a révélé que l’enfant est le père de l’homme qu’il est devenu aussi bien sur le plan national qu’international. Mon passage au collège St Joseph a duré juste le temps de préparer le concours d’entrée en 6è. A la différence des deux camarades de promotion. Je suis transféré à l’école normale de Togoville certainement à cause de mon âge. A l’école normale de Togoville, j’ai eu juste le temps de terminer le premier trimestre puisqu’après les congés de Noël je ne suis plus retourné à Lomé à cause des difficultés de mon père à payer les frais de l’internat. Je peux dire sans risque de me tromper que j’ai été victime comme tant d’autres enfants victimes de la polygamie qui empêche nos géniteurs d’assumer leurs responsabilités paternelles et familiales malgré toutes leurs bonnes volontés. Le reste de l’année scolaire je le passe à Lomé ou je me consacre à mon jeu favori, le football. Je vis dans l’insouciance, seule ma mère désespère de mon sort. L’année scolaire est vite passée, les vacances aussi, ma mère tente l’impossible pour m’inscrire au Lycée Bonn Caraire, un haut lieu de savoir où on n’entre qu’après un concours passé en bonne et due forme. Le Directeur de l’institution est un blanc, son nom est Deleris, si j’ai bonne mémoire. Ma mère tente par tous les moyens pour le voir et fléchir sa clémence. J’ai subi un test rapide mais qui me donne une nouvelle chance d’échapper à la rue puis, de renouer avec le savoir qui libère l’homme, et l’intègre harmonieusement dans la société. De cette promotion, quelques noms me sont restés : Akuété, Emmanuel, Johnson Benjamin, Ameganvi Charles, Adekanbi Alexandre, Amenda William, Bolouvi Philipe, Johnson Jean Jacques, Ekoé Michel, Bokovi Marie Claire, Osseyi Véronique APPO joff… tous devenus d’éminents cadres de l’administration de notre pays.